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Des auteurs de littérature dans les classes : pour quoi faire ?

lundi 29 mars 2004, par PC

La venue d’un auteur dans les écoles devient fréquente, voir naturelle, mais on peut s’interroger d’une part sur le bien-fondé d’une telle opération et d’autre part sur son contenu.

La venue d’un auteur : le temps de la démythification

En premier il y a bien sûr la démythification de l’auteur. C’est nécessaire. Pour les enfants, bien souvent, l’image véhiculée par les médias donnent aux enfants de curieuses représentations. L’auteur est forcément quelqu’un de connu et donc de riche. Dans la classe, alors que j’expliquais que j’allais peut-être rencontrer, lors d’un salon, l’auteur du livre sur lequel nous travaillions, un enfant me demanda si je pourrais l’approcher malgré les gardes du corps !

On entend souvent que les enfants manquent de repères mais ils ont les repères qu’on leur donne (pourquoi seraient-ils hors champs ?). Si un footballeur célèbre vient passer une demie-heure sur une terrain de foot pour amuser des enfants qui vivent dans des conditions économiques difficiles, on soulignera la générosité de la star et non le cynisme de la situation. Et c’est bien sur ce genre de représentations que vont fonctionner les enfants qui attendent la visite de l’auteur. Un sentiment d’envie, de jalousie ; l’enfant comme faire valoir d’un adulte (d’un produit) dont le seul intérêt sera de récupérer un peu de célébrité (difficile de trouver une publicité sans enfant !).

Le cas de ces nouvelles émissions dont le but est de créer des stars de musique pop est archétypal. Elles s’adressent en particulier aux enfants (le cœur de cible est dans nos classes) et ne fonctionnent que sur la rentabilisation directe d’un capital médiatique (parent pauvre du capital culturel et favorisant par là-même l’adhésion ou l’aliénation du plus grand nombre) qui se construit sous les yeux de ceux qui en permettent la construction.

Dans une époque où pour vivre il faut être vu et non pas forcément entendu, la tentation est grande de faire comme ces inconnus de passer et repasser en arrière plan de la caméra de télévision alors que le présentateur parle.

A cela il faut ajouter la réalité du monde de la littérature jeunesse. Les auteurs riches sont rares, les plus nombreux ne vivent pas de leur art. Leur venue dans les écoles est le plus souvent monnayée, la situation est complexe et demande d’être clarifiée auprès des enfants car cela donne aussi des clés pour comprendre la littérature jeunesse trop souvent idéalisée : « Assignée à la rentabilité, jugulée par les contraintes marchandes, comment la littérature jeunesse pourrait-elle être subversive ? » [1]

La venue d’un auteur : l’imposition culturelle

Alors il faut prévenir : la venue d’un auteur est ni plus ni moins que la venue d’un spécialiste. Quand on travaille sur la rivière c’est le garde du Conseil Supérieur de la Pêche qui vient, quand on parle des livres c’est un auteur ( à quand les visites des éditeurs ?). Aucune question ne lui sera épargnée : Combien gagnez-vous, le choix de l’éditeur...
Il faut faire feu de tout bois.

Le domaine de ce spécialiste touche à la culture littéraire et on pourrait penser que c’est un domaine à part. Mais méfions-nous, le discours autour de la littérature jeunesse est, parfois, directement issu d’« une idéologie charismatique du don » [2] et l’analyser, le démonter y participer dans nos classes est nécessaire surtout que la désillusion sociologique ne peut être que joyeuse pour ceux qui n’ont rien à perdre. La venue de l’auteur ne doit pas être le moment fort où l’auteur se fait le chantre de la culture dominante, auréolé du mystère de la création.

Alors qu’a-t-elle de différent cette culture littéraire. On pense aux mythes, Eros et Thanatos ... aux textes fondateurs comme ils sont nommés dans les instructions officielles [3]de 6ièmedepuis 1996 et dont l’appellation nouvelle n’a suscité, à ma connaissance, aucune réaction des professeurs. Des textes fondateurs de quoi ? A tout le moins d’un ethnocentrisme virulent. Si la vie ne vaut pas la peine d’être vécue en dehors de la culture commune prônée par les textes officielles (la bible, l’Odyssée, l’Enéide et les métamorphoses d’Ovide), il va y avoir du travail pour les dames patronnesses charger de guider « La quête du salut culturel » [4] dans des collèges redevenus des salles d’asile du XIXe.

On peut croire aussi que la particularité de cette culture littéraire est qu’elle « offre des perspectives ouvertement intersubjectives : sa puissance métaphorique, qui parle toujours d’ici et de maintenant en feignant de parler d’ailleurs et d’autrefois, permet de parler de soi sans s’engloutir en soi. » [5]Mais l’ego fictionnel ne fait-il pas partie de tout discours ? « La politique et l’art, comme les savoirs, construisent des « fictions », c’est-à-dire des réagencements matériels des signes et des images, des rapports entre ce qu’on voit et ce qu’on dit, entre ce qu’on fait et ce qu’on peut faire. »

La culture littéraire n’a rien d’exceptionnelle si ce n’est son rapport avec l’école, le lieu de sa fétichisation. Ce ne serait qu’une catégorie d‘histoires parmi l’ensemble des histoires non consensuelles qui nous permettent de vivre ensemble en plus ou moins grande sécurité culturelle.

C’est autour de ce consensus ou de « sa négociation sociale » [6]qui n’est pas synonyme de pacification que doit se jouer l’interprétation des textes littéraires. Et c’est le rôle de l’école de légitimer de nouveaux partenaires de cette perpétuelle négociation.

La rencontre avec l’auteur doit être un des moyens de légitimer le statut des enfants lecteurs.

La venue d’un auteur : « Auteur/lecteur : l’invention réciproque »

Tous les auteurs ne souhaitent pas rencontrer leur public mais ce n’est certainement pas la seule façon de s’inventer mutuellement que de se rencontrer. Lorsque C. Bruel dit « Une partie importante des enfants ne doit pas se reconnaître intimement dans les caricatures, translucides ou très opaques, des personnages d’enfants qui leur sont proposées. » [7], il raisonne sur les lecteurs et ce ne sont pas que les rencontres qui lui permettent de se représenter ces lecteurs.

Certains se rassurent sur le lien qui les unissent à leurs lecteurs : « Ca me permet de garder le fil, de vérifier que je suis bien au diapason » . Souci de compréhension, de réponse à une attente.

Dans cette relation curieuse et diverse la place de l’œuvre est parfois centrale. La démarche directe vers le lectorat n’est qu’une autre façon de porter son œuvre. Ce qui donne lieu à des démarches originales comme celle de T. Lenain qui met à la disposition du public sur son site, un texte refusé par son éditeur et qu’il entoure d’explications tout aussi intéressantes que le texte lui même. Est-ce que la différence de jugement entre l’éditeur et l’auteur porte sur le texte ou sur le lectorat ? De toute façon le lecteur de ce texte est placé d’emblée dans une position bien savante...

D’autres, comme Pef, considère la rencontre avec ses lecteurs comme un moteur indéniable de leur création : « Sur la page de garde de chacun de mes livres devrait figurer : « avec la participation naturelle d’un tas d’enfants » » .

Dans cette invention réciproque les enfants ont beaucoup à y gagner et peut-être que les médiateurs des livres ont là un rôle à jouer subtile et discret.

Encore faut-il trouver des auteurs prêts à prendre parti pour un lectorat difficile. Difficile à convaincre et difficile à comprendre, avec qui le pacte de lecture n’est pas acquis d’avance et pour qui il faudra bien inventer une écriture.


[1Virginie, Lou. « Masculin, féminin : marchandises parmi les marchandises » Le Monde des Livres décembre 2 000

[2P. Bourdieu La distinction, les éditions de minuit, 1979

[3P. Bourdieu La distinction, les éditions de minuit, 1979

[4Hoggart R. La culture du pauvre, Editions de Minuit, 1957

[5Sève P. La littérature à l’école, Les Actes de Lecture n° 76, décembre 2001

[6Bruner J. Car la culture donne forme à l’esprit, de la révolution cognitive à la psychologie culturelle , Eshel 1991

[7C. Bruel, Dans la forêt qui cache les arbres, Autrement N°97 mars 1988

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